Dans l’univers cinéma la comète numérique, après avoir balayé la planète production (tournage, montage), atteint aujourd’hui celle de la diffusion en salles. On présente souvent cette évolution inéluctable sous l’angle partiel de ses aspects bénéfiques les plus immédiatement prévisibles: frais de distribution quasi supprimés (copies de films, stock et transport), diffusion simultanée du film partout où il est demandé, possibilité de V.O. et V.F. sur le même site, développement du cinéma en trois dimensions, sans oublier la possibilité de retransmission en direct de spectacles, d’évènements sportifs.

Il y a peu cette “révolution” technologique paraissait encore lointaine tant l’investissement pour l’équipement des salles était lourd. La décision récente du groupe CGR d’équiper plus de la moitié de son parc (plus de 200 salles) et celle des majors américaines de parvenir en quelques années à disposer de 15 000 “salles numériques” sur l’ensemble de l’Europe pour écouler leurs produits, révèlent que les stratégies des grands groupes sont arrêtées et déjà en action. Elles ne concernent évidemment que leur propre logique économique et financière et n’englobent pas les aspects culturels et sociaux défendus par le secteur Art et Essai des salles de cinéma dont beaucoup sont associatives ou municipales et ne disposent pas de fonds pro-pres suffisants pour s’équiper. Ces difficultés auront inévitablement des répercussions sur l’existence même des petites et peut-être moyennes maisons de distribution qui assure en France la diffusion de l’essentiel de la diversité et donc de la richesse du cinéma mondial.

Ces questions sont loin d’être négligeables (*). On imagine bien que pendant un certain temps subsisteront les deux types de diffusion. On aimerait surtout que cette période transitoire, que l’on sent pleine de dangers, soit réfléchie et encadrée préventivement afin d’éviter, ou de limiter une “casse” irrémédiable.Dans ce contexte, la confirmation par les services du Ministère de la Culture d’une baisse du soutien de l’Etat à la diffusion culturelle du cinéma et de l’audiovisuel ne peut que nous inquiéter.

Rencontres Photographiques du Cambrésis:
Il paraîtra paradoxal à beaucoup que pour accompagner ces Rencontres consacrées à la photographie contemporaine allemande, nous ayons choisi deux films des années vingt, Berlin symphonie d’une grande ville et Les Aventures du prince Ahmed, pour un seul de l’actualité, " De L'autre côté " de Fatih Akin.Ce retour à l'histoire du 7ème art s'est imposé de lui-même sans que nous ressentions le paradoxe. C'est que le lien devait avoir en nous la clarté d'une évidence ; en plus de la redécouverte d'œuvres rares et historiquement importantes, le recours à l'éclairage d'une période artistique extrêmement fertile où le cinéma partout dans le monde s'inventait et accédait à la maîtrise de son langage spécifique :

" Période d'avant-garde s'il en fut où l'imagination prend effectivement le pouvoir pour faire aboutir mille et une intuitions, mille et une expérimentations. Le cinéma de cette époque ignore encore qu'il va bientôt parler. Son éloquence ne se veut que celle de l'image et des vertus de son traitement diversifié ; son efficacité, c'est celle du montage considéré comme un des beaux-arts ; sa puissance poétique est à l'échelle de ses capacités suggestives. Il connaît dès lors ses plus riches heures mais n'a guère le temps de s'en étonner, occupé qu'il est à se donner les moyens de ses ambitions. "
Gaston Haustrate

Il nous paraît évident et légitime aujourd’hui, pour que la créativité artistique du cinéma continue de trouver son nécéssaire public, de formuler le voeu que tous, des décideurs économiques et politiques aux spectateurs, “prennent le temps de s’étonner“ des enjeux et des risques d’une concentration incontrôlée de l’univers cinéma.


Bonne année cinématographique.

Guéant Jean Marie

(*) un sujet que l'on abordera lors de la soirée du 8 janvier.